L’assassinat des « complices » de Mattéo.
Mattéo l’a-t-il avoué lors de son arrestation ? Pour livrer à la Gestapo vingt-quatre noms de résistants, il aurait été aidé par trois femmes.
On peut supposer que Me Giraud, mère du milicien Georges Giraud (milicien, chef des réquisitions) tué à Genouilly en octobre 1943, a pu donner des renseignements avant de partir de Cluny pour Paris[1]. C’était la version donnée par Germaine Moreau et Fanny Rotbart. Me Giraud a-t-elle été interrogée à la Libération ? Il semble que non.
Lucien Tièche-ancien chef de groupe au maquis de Crue- déposera au procès Doussot le 8 décembre 1948 : selon lui, seules deux femmes, complices de Mattéo, furent tuées, sur les ordres de Jean-Louis Delorme. Ce dernier ne peut plus témoigner puisqu’il tombe au combat sur la RN 6 le 31 août 1944.
Yvonne Burnier
La première « complice » de Mattéo, Yvonne Burnier née Doveze, qui vit seule avec ses deux enfants[2] rue de la République, est arrêtée le 12 juin, selon le souvenir qu’en gardent ses enfants. Le résistant D. fixe quant à lui au 14 juin la date de ces deux arrestations. Il sera accompagné dans cette opération par d’autres résistants, dont K. D.
Les résistants la conduisent en direction de Blanot mais s’arrêtent en cours de route pour l’abattre. Elle n’a que trente-trois ans. Les enfants (le fils a douze ans et la petite huit ans) restent seuls dans l’appartement jusqu’au bombardement de Cluny le 11 août avant d’être placés à l’orphelinat (Institut catholique de Bois-Sainte-Marie). Sans l’aide de leurs voisins, la famille Gaudinet, comment auraient pu survivre deux enfants seuls pendant un mois, espérant sans cesse le retour de leur mère ?
Joli geste ? La résistance a eu toutefois la délicate attention de leur renvoyer son sac à main par la poste… Ces enfants n’étant pas en âge de réclamer des comptes, Yvonne Burnier n’aura jamais de sépulture et le premier magistrat de la ville a su fermer les yeux puisque, sur le registre de décès de la mairie de Cluny, ne figure même pas la date exacte de sa mort.

Du haut de ses douze ans, Serge Burnier tentera de savoir ce qui est arrivé à sa mère : « Quant à la résistance, je connaissais son existence pour avoir vu des hommes en armes. J’en ai interrogé un pour avoir des nouvelles de ma maman ; il m’a répondu ne pas être au courant[4]. » Bel exemple de bravoure vis-à-vis d’un gosse orphelin.
En octobre 2018, lorsque nous avons interrogé Serge, le traumatisme est toujours là. Pour deux gamins, c’est toute une enfance, une adolescence, une vie tout simplement qui fut brisée, un soir de juin 1944. L’orphelinat où frère et soeur sont séparés, des études arrêtées (Serge était bon élève et voulait entrer aux Arts-et-Métiers), puis deux adultes qui n’auront même pas une tombe où se recueillir et qui ont erré, le regard rivé sur les bois de la route d’Azé en se demandant : « Où est-elle » ?
Marie Laguette
Quant à Marie Laguette, 62 ans, qui vit rue de La Chanaise avec son mari, elle est arrêtée en même temps qu’Yvonne Burnier. Les deux femmes connaissent le même sort mais pas au même endroit : alors que les résistants s’arrêtent sur la route d’Azé pour régler son compte à Y. Burnier, Marie Laguette est conduite jusqu’au maquis de Crue où elle est abattue. Doussot en est-il ? Un acte transcrit le 28 mars 1950 à la mairie de Blanot fait état de son décès.
A posteriori, certains Clunisois (ses plus proches voisins qui tenteront de s’interposer lors de son arrestation) diront que le seul tort d’Yvonne Doveze avait été de coucher avec les Allemands « pour nourrir ses gosses » mais ils réfuteront le fait qu’elle ait pu dénoncer des Clunisois. Marius Roux, professeur à La Prat’s, est quant à lui certain qu’elle a dénoncé « plusieurs de ses compatriotes[5]. » Si Yvonne Burnier n’était pas une délatrice, au pire aurait-elle dû être tondue à la Libération, à l’instar des trois femmes qui défileront ultérieurement dans les rues de Cluny, « pour avoir fait trempette avec les Allemands. » Mais elle a été tuée et son corps « encroté », selon l’expression consacrée. Quant à Marie Laguette, elle aurait « vendue » son propre neveu (D.), toujours d’après Marius Roux, mais « on dit aussi dans Cluny » que le neveu en question -qui participe à son assassinat- avait peut-être envie de toucher son héritage…
Coupables ou non coupables ?
Alors, va savoir. Coupables ou non coupables ? Comme pour Mattéo, nous ne connaîtrons peut-être jamais le fin mot de l’histoire. Nous l’avons vu : cette histoire du « 14 février » est complexe mais rien ne prouve que les trois personnes assassinées -sans être jugées- ont pu dénoncer leurs concitoyens. Rien ne prouve que Doussot a bien fourni une liste à Laurent Bazot. Rien ne prouve que Mattéo ne connaissait pas Doussot à Lyon avant 1944 et qu’il aurait pu devenir « un témoin gênant » pour « Lucien la Gestapo ». Mais tout prouve, au contraire, que les polices française et allemande avaient déjà des listes de noms de résistants depuis 1941. Tout prouve que certaines dénonciations se sont faites sur place, entre le 14 et le 17 février. Tout prouve aussi que certains délateurs, identifiés, n’ont pas été inquiétés.
Face à cette épuration sauvage que connaît la région dès le début du mois de juin 1944, Claude Rochat mettra en place le tribunal de Cruzille en juillet « pour faire cesser les abus d’une justice impulsive et sommaire, pratiquée par chaque groupe à la discrétion de son chef. [6] »
À Cluny, c’est déjà trop tard et le tribunal de Rochat -nous le verrons- Doussot en fait fi puisque la liste des assassinats s’allongera encore au maquis de Crue…
À suivre…
[1] Me Giraud perd son mari (propriétaire de la bonneterie située place du marché) le 31 janvier 1943. Son fils est tué en octobre 1943. Elle plie bagage et part habiter à Paris.
[2] Yvonne est veuve depuis 1932. Son mari travaillait aux haras.
[4] Courrier de Serge Burnier, 8 octobre 2018.
[5] Roux, Marius. La résistance à Cluny, 1940-1944. Document dactylographié.
[6] Rochat, Claude. Les Compagnons de l’espoir. Mâcon : Comité départemental de Saône-et-Loire des Anciens Combattants de la résistance, 1987, 319 p., p. 274.
Je souhaiterais que ma petite cousine Yvonne Burnier née Dovèze soit réhabilitée et surtout pas jugée…le contexte était tellement différent.
Jacques Dovèze
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« Cette histoire du « 14 février » est complexe mais rien ne prouve que les trois personnes assassinées -sans être jugées- ont pu dénoncer leurs concitoyens. »
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