Quatre vingt-dix neuf élèves rejoignent les rangs de la Pratique le matin du premier octobre 1908. Tous -ou presque- sont internes et on peut imaginer quel branle-bas de combat ce doit être devant le portail d’entrée et sur la promenade du Fouettin.

Les automobiles sont rares mais pas les charrettes où s’entasse pêle-mêle le trousseau du jeune interne ; ici un matelas, là les couvertures, la malle… La prochaine « décale » est loin et on s’installe à l’internat pour de longs mois ou de longues années. P. Dameron est là avec les professeurs, supervisant l’arrivée des nouveaux ; qui sont-ils ces Augoyat, Cornu, Renoud, Vouillon… ?

Entrée principale. La Prat’s, Cluny.

Le plus jeune a onze ans mais ses camarades ont, pour la majeure partie, entre treize et quinze ans. Le plus âgé a dix-huit ans et arrive de Suisse. Aux quinze Clunisois s’ajoutent trente-sept camarades issus de toute la Saône-et-Loire et vingt-six autres élèves arrivent des départements limitrophes. La Prat’s recrutant dans toute la France, on fait également connaissance avec ceux de la Corrèze, du Cher, de Paris…

Les parcours scolaires antérieurs de tous les élèves sont divers : cinquante-sept viennent d’une école mentionnée seulement comme « publique », dix d’une École Primaire Supérieure, huit de lycée, six de collège, quatre d’Écoles Pratiques (Dijon et Saint-Etienne)… d’autres sont issus d’institutions, de cours complémentaires ou même de l’École Schneider du Creusot. Pierre Dameron veut une école démocratique et l’origine sociale des élèves le prouve. Nous avons là les fils de : douze ouvriers, dix-huit employés, douze agriculteurs et viticulteurs, trois instituteurs, onze artisans, trois chefs de gare, neuf propriétaires, deux directeurs d’entreprises, deux rentiers…

Dix-neuf d’entre eux sont dans l’obligation d’aller à la messe à l’église Notre-Dame (à la demande de leurs parents) et trois sont tenus d’assister au culte protestant. Tous portent l’uniforme et près d’un tiers se destine déjà à entrer aux Arts et Métiers. En juillet 1909 vingt-cinq élèves, parmi les plus âgés de la promotion, quittent La Prat’s : ils ont acquis le diplôme leur permettant d’entrer dans la vie active ou ont réussi le concours d’entrée aux Arts.

La promotion 1914 a été la plus glorieuse de Dameron : trente-deux élèves rentrent aux Arts et Métiers et, de 1893 à 1919 (date de sa retraite), il fera entrer aux Arts plus de cinq-cents Prat’siens.

Son idée de l’éducation : « Il faut travailler soi-même et ainsi entraîner. »

Encourager et récompenser tout effort de bonne volonté, punir le moins possible : peu ou pas de piquet, retenues à titre tout à fait exceptionnel. Comme punitions écrites, jamais de ces longs verbes, ni de ces interminables pages de vers à copier, qui gâchent écriture et orthographe…Il applique les idées d’Edmond Demolins (École des Roches) auxquelles Poucholle, professeur, l’initie. Une éducation pour des enfants d’ouvriers, de petits commerçants, de petits propriétaires en un mot pour la classe populaire ou moyenne, sans fortune.

« J’ai voulu une école démocratique. » (Pierre Dameron)

Pour cela, les élèves les plus défavorisés n’ont pas à payer les heures de répétition (heures de « colles ») pour l’entrée au concours des Arts. Il se souvient d’où il vient et ce que l’école a fait de lui. De là l’idée aussi naît chez Dameron d’offrir à ses élèves de l’enseignement artistique, de l’éducation physique, de l’éducation morale…

« Faire un ouvrier capable, c’est bien. Mais n’est-ce pas mieux d’en faire un ouvrier capable et ouvert ? (…) Ne négligeons en rien la bonne culture technique et ne tombons pas dans un dangereux excès en réduisant la culture générale. » (Pierre Dameron)

Ainsi sous l’impulsion de son directeur, l’École crée sa fanfare. Dès les années 1900 une véritable « fête des études » voit le jour : musique, défilés de chars et autos fleuries, théâtre, bal en plein air… On travaille beaucoup à La Prat’s et on y réussit aussi dans une ambiance familiale où le directeur se joint aux élèves pour de grandes promenades, pour partager des parties de jeux de paume, de rallye-paper et de combats de boule de neige.

Quels souvenirs garderont les élèves de Dameron ? Celui d’un directeur strict, exigeant, mais qui sait soutenir ses élèves. « Je tiens à vous remercier de tous les bons conseils que vous avez bien voulu me donner pendant mon séjour à l’École. Quand je me suis écarté, plusieurs fois même, du droit chemin, vous m’y avez ramené. Vous m’avez appris à être honnête, franc et travailleur. Je vous en remercie beaucoup. Je suis à l’École Supérieure : je dois travailler et faire mon possible pour arriver dans les premiers, et de cette façon faire honneur à l’École Pratique. » (Lettre de Louis Dufour, ancien élève à P. Dameron.)