Même s’il n’existe aucune loi obligeant les communes à ériger un monument pour honorer les morts, rares sont celles où il n’existe pas de mausolée.

Dans un premier temps, chaque municipalité choisit un comité d’érection, souvent composé de notables de la commune. À Cluny, Paul Chachuat le préside. Puis il s’agit de trouver des fonds car, même si l’État établit le principe d’une subvention (Loi du 25 octobre 1919 et Loi des finances du 31 juillet 1920), ces aides sont généralement faibles. La municipalité de Cluny ouvre un crédit de 3 000 francs. Afin de boucler son budget, le comité organise donc une souscription pour recueillir de l’argent. La tâche suivante consiste à trouver le sculpteur et choisir l’emplacement du monument. Comme à La Prat’s, c’est le Clunisois Paul Janin (1890-1973) qui est pressenti pour cette réalisation. L’emplacement, retenu par le comité, se situe alors place de l’hôpital.

Monument aux morts de Cluny – Photo N.Roiné

« Qu’ils vivent tenaces et indéfectibles, et étroitement serrés pour barrer la route de l’oubli ! » Léon Daclin, maire de Cluny

Le choix des noms

Aucune procédure administrative n’existant à ce sujet, le point le plus délicat, pour le comité, est de dresser la liste des noms qui doivent figurer sur le mausolée. En conséquence, chaque mairie fait « comme elle veut ». Initialement, le comité établit une liste de 137 noms de soldats nés à Cluny ou ayant résidé dans la commune. De ce fait, il n’est pas rare de retrouver un soldat sur plusieurs monuments aux quatre coins de la France. C’est le cas d’Antoine Léchères, né à Cluny, dont le nom figure sur trois monuments (Cluny, Ceyzériat et Rouen) où il est né, a résidé et travaillé ainsi que sur la plaque commémorative de Fleury-en-Douaumont.

À Cluny, le relevé est pourtant fort incomplet puisqu’on dénombre ultérieurement -au total- 153 soldats clunisois « morts pour la France ». Pourquoi la municipalité a-t-elle omis douze noms alors que ces soldats pouvaient être natifs de Cluny (J-F. Cabot, J-M. Collongy et A. Monget), y avaient travaillé avant de partir à la guerre (A. Cantat, A. Dumontoy, C. Thomas et L. Beurier) ou avaient encore ici leurs parents (Boisselet, Lemaistre, Le Couteulx de Caumont, Mariotte et Reboux) ? Les actes de transcription de décès de ces soldats ayant été adressés à la mairie au plus tard deux ans avant l’inauguration du monument, il n’y a donc aucune raison -pour le comité- de ne pas les inscrire.
Les archives municipales n’ayant pas conservé le dossier « Monument aux morts 1914-1918 », le mystère des «douze oubliés» reste entier.

L’œuvre de Janin

Janin connaît bien son sujet puisqu’il a lui-même combattu de 1915 à 1919. Il propose une première œuvre représentant un « soldat agenouillé accablé de fatigue et de douleur » mais cette évocation de la guerre ne convient pas.

Il rend donc hommage à ses amis en représentant le poilu français en vainqueur, arrêtant la marche de l’envahisseur en brisant la baïonnette allemande façonnée à dents de scie. La jeunesse, fauchée par la guerre, est symbolisée par des gerbes de blé posées aux pieds du soldat. « L’allégorie [déclare le maire Léon Daclin en 1923] représente nos braves enfants brisant la ruée de la barbarie allemande. »

L’œuvre de Janin, agréée par la commission départementale chargée de veiller à l’esthétique des productions, est réalisée en calcaire de Pouillenay et coûte à la ville 22 500 francs.

L’inauguration

L’inauguration – Photo N.Roiné

La date retenue pour l’inauguration est fixée au 21 octobre 1923 puis repoussée au 4 novembre 1923. Après une messe dite à Notre-Dame, 4 000 à 5 000 personnes sont présentes, sous une pluie battante, au pied du monument que le président du comité « offre » au premier magistrat de la ville. L’œuvre de Janin sera déplacée en bas de la rue Saint-Odile le 3 août 2014.
Personnalités présentes le 4 novembre : Préfet de Saône-et-Loire, Simyan (sénateur et conseiller général), Lavau (député), les maires de Mâcon, La Vineuse, Cormatin, Lournand, Massilly, Flagy, etc.

Nécropoles, disparus, cimetière

Pour de nombreuses familles, le monument aux morts sera le seul lieu gardant la mémoire du fils, du frère ou du mari. Certes, certaines pourront aller se recueillir sur une tombe, mais à l’autre bout de la France : Nécropoles La Targette, Notre-Dame-de-Lorette, Douaumont, Commercy…
D’autres demanderont la restitution et le transfert du corps du soldat, comme la Loi du 31 juillet 1920 l’autorise. En exécution de l’article 106 de la loi de finances du 31 juillet 1920, les restes de 250 000 militaires morts pour la France inhumés dans l’ancienne zone des armées seront restitués aux familles qui en font la demande dans les délais légaux. Les frais sont à la charge de l’État. Toutefois, les familles peuvent aussi rapatrier les corps à titre privé pour éviter les lenteurs de l’Administration.
« Pieuses démarches, (…) de quels violents réveils des chagrins n’êtes-vous pas générateurs ? » L. Daclin, 1923.

Arrivées à Cluny, les dépouilles des soldats sont enterrées dans le carré militaire (Geoffre, Lecuyer, Duroussay, Ducruit, Josselin, Janin, Ducrot, Lucas) ou dans les caveaux familiaux (Simyan, Clément, Gelin, Dufour, Charton, Reynaud, Claude Gobet et Barnaud). Seul le caveau de la famille Simyan existe encore. Une délibération du conseil municipal stipulait pourtant que « les tombes des soldats inhumés au cimetière de la ville soient entretenues et que les noms soient maintenus lisibles sur les dites-tombes. »

Et puis, il reste les soldats qui n’ont eu aucune sépulture ; ce sont les « disparus », les « déclarés décédés » dont le ministère a établi une date approximative de décès. Neuf Clunisois n’ont jamais été retrouvés : F. Cabaton, A. Cantat, P. Carlot, P. Delorme, Francis Gobet, C. Goujon, C. Goyard, Julien Maniveau et Jean Therville.

Pour tous ces hommes dont les noms s’effacent au fil du temps, le vieux monument fissuré reste pourtant bien le seul lieu mémoriel qui rappelle leur vaillance, leur abnégation et leur dévouement pour la Patrie.

« Paix donc, à vos pauvres dépouilles, obscures victimes, mais qu’autour d’elles nos sentiments ne cessent de monter la garde d’honneur… Qu’ils vivent ! » Léon Daclin, 1923