« Nous reconnaîtrons bien les traîtres – Leur chanson n’est pas de chez nous… »

Le 6 juin 1944, un drôle d’équipage arrive à Cluny. Dans une voiture de la SIPO-SD, un homme : Lucien Doussot, accompagné de son comparse André Thévenot, de ses « beaux-frères », (Marius Peupier et René Padey) et de Laurent Bazot. Selon Peupier, même Jean-Louis Delorme les accompagne[1]. Ils se sont arrêtés en route, à Pruzilly, pour déposer leurs compagnes chez Cyprien Combe et enterrer dans son jardin une valise qui a pu contenir selon certains des documents ou, pour d’autres, de l’or. Cyprien Combe -rempailleur de chaises- est père de neuf enfants dont Renée (1910- ?), maîtresse de Doussot. 

Qui est Doussot ? Un des meilleurs agents français de Barbie.

Drôle d’entrée dans la vie, Lucien Doussot est né le 2 octobre 1913 à Combertault (Côte-d’Or) de père inconnu et il n’est reconnu par sa mère que le 28 du même mois. Celle-ci se marie avec un certain François Doussot en 1919. De l’enfance de Doussot, nous ne savons rien. Il a épousé en 1935 Jeanne Perrin à Fresne en Haute-Saône dont il aura deux enfants. Il la quittera pour vivre à Lyon avec Renée Combe qui travaille dans un salon de coiffure.

Très rapidement car ce n’est pas notre propos ici, Doussot, avant la guerre, est condamné à plusieurs reprises et emprisonné pour vols et proxénétisme. Puis, jusqu’en 1942, on le retrouve tenancier de café sur la ligne de démarcation, à Saint-Jean-des-Vignes. Passeur, il s’enrichit grassement sur le dos de celles et ceux qui veulent passer en zone libre et il est connu pour être aussi un gros joueur de poker. En bref, tout est bon pour gagner de l’argent. Le beau-frère de Renée Combe -M. Michel- se souvient même qu’il faisait même du marché noir de tabac en faisant traverser la ligne à son chien « Dick[2] ».

Novembre 42 : plus de ligne, donc plus de revenus. C’est la raison pour laquelle, dit-il, il rejoint Lyon et vit en concubinage avec sa maîtresse Renée, grande amie des Bazot. Mais, cela à de quoi laisser pantois le Tribunal en 1949, il a mis de côté un peu plus d’un million de bénéfices. Sans travail, Doussot trouve la possibilité, selon ses dires, de rentrer au service de la Gestapo vers l’été 1943, dans le service de la section IVE plus exactement. Toujours selon lui, il entre en contact avec la résistance et propose de renseigner notamment le réseau Dupleix et Laurent Bazot. Ce dernier sera pour lui un soutien indéfectible au moment de son procès.

Car Doussot est en effet recherché après la guerre et emprisonné. Après s’être évadé, il sera finalement jugé en 1949 et condamné à mort. Puis cette condamnation sera transformée en peine de travaux forcés. Que lui reprochait-on en 1949 ? La bagatelle de quelques 300 arrestations et déportations, dont celles de Saint-Claude. D’avoir trempé dans les arrestations de Jean Moulin, du commandant Faye et du général Delestraint. Lors de son procès, Doussot se défendra ainsi : « J’étais un agent double. Il me fallait donner des gages. » Nous en reparlerons. Témoignage accablant, celui de Klaus Barbie, qui, interrogé en 1948 à son sujet, dira qu’il considérait Doussot comme étant un de ses meilleurs agents français. C’est peu dire.

« Lucien la Gestapo » arrive à Cluny

Mais revenons à Cluny. Après les exploits de l’espion Garcia (voir l’article sur les arrestations de Blanot), comment expliquer qu’un des meilleurs agents de Barbie soit encore accueilli à bras ouverts par la résistance clunisoise le 6 juin 1944 ? Certes, il est adoubé par Laurent Bazot et par l’agent anglais Browne-Bartroli. Donc, ceux qui sont arrivés au maquis en dernier, peuvent être bernés mais comment tromper les résistants de la première heure ? Michel Wicker écrira dans ses « Remous d’enfance » que son père, Lucien Tièche et Pierre Colin se posent des questions au sujet de Doussot vers le 18 juin 1944… N’empêche que « Lucien la Gestapo » fait son trou parmi eux, sans que personne n’y trouve mot à redire. D’ailleurs, lorsque l’historien Jeannet publiera en 2005 son « Mémorial », Doussot figurera au Panthéon des résistants de la Saône-et-Loire et personne ne s’offusque de le trouver (pages 134-135) aux côtés des Paul Rivière, Jean-Marie Régnier, etc. Indubitablement, l’homme fascine encore.

« Lucien la Gestapo », l’homme qui a prévenu Cluny de la « rafle »

En 1944, le subterfuge employé par Doussot pour asseoir son autorité est simple : il va se poser en sauveur des Clunisois. C’est lui qui leur a transmis en janvier 1944 la liste des résistants susceptibles d’être arrêtés. Et, conséquemment, grâce à lui, le pire a pu être évité. De surcroît, « Lucien la Gestapo », comme on va l’appeler au maquis de Crue (et son surnom en dit long…), gagne l’entière confiance des résistants dès son arrivée à Cluny parce que c’est un meneur d’hommes qui n’a peur de rien. Le 7 juin, avant d’assassiner Mattéo, il fait partie de l’expédition contre la gendarmerie de Cluny : douze individus armés jusqu’aux dents de fusils-mitrailleurs et de mitraillettes s’emparent d’armes et de dix litres d’essence. Puis, « Les embuscades se multiplièrent au Col du Bois-Clair (N 79, Mâcon-Moulins). Le 8 juin, la première embuscade sanctionne les maquisards d’un mort[3]. »

Le 10 juin, Jean Renaud, figure emblématique de la résistance clunisoise, est arrêté à la gare de Cluny alors que la résistance vient d’intercepter le matin-même un train de marchandises. Le 11 juin, un pont saute entre Massilly et Cormatin et le 12 juin, le tunnel de la Croix Blanche est également endommagé, rendant la circulation impossible. Doussot est-il présent à chaque action ? Difficile de le dire. Mais force est de constater que les résistants lui voueront une admiration sans pareille. Comme le soulignera le docteur Pierre Mazuez le 30 octobre 1944, Doussot était « un exemple au maquis pour tous nos petits gars. » Car Doussot, en effet, commandera le maquis de Crue.

Doussot, fin manipulateur, devient non seulement un exemple de bravoure pour les gars du maquis mais il apporte à Cluny sur un plateau un gage qui vaut tout l’or du monde : le nom du dénonciateur qui a entraîné « la rafle ». Pour les résistants qui ne sont pas partis et qui ne se sont pas remis d’avoir vu déporter leurs épouses, grâce à « Lucien la Gestapo », c’est la vengeance assurée, une vengeance qu’on attendait depuis le 14 février.

Un traître vient à Lyon dénoncer  : Mattéo

Il y a un traître. Et, à peine arrivé à Cluny, Doussot le pointe du doigt : c’est Mattéo, le patron du café du Nord. C’est lui qui est venu avenue Berthelot déposer une liste de vingt-quatre terroristes en janvier 1944. Son bras droit André Thévenot, blessé soi-disant par balle place de l’hôpital à Lyon le 13 novembre 1943[4], n’allait plus à cette époque sur le terrain et travaillait en janvier 1944 au bureau des délations. C’est là qu’il aurait soi-disant reçu Mattéo. Et, par chance, dit Doussot, il était lui-même présent. Les deux sbires de Barbie auraient donc reçu en mains propres la fameuse liste portant les noms de vingt-quatre résistants à arrêter. Thévenot était-il réellement dans l’incapacité de se déplacer en janvier 1944 et cantonné au bureau des délations ? Rien n’est moins sûr car, le même mois, il va plutôt bien puisqu’on lui confie une « mission en Saône-et-Loire[5]. » A-t-il donc réellement -avenue Berthelot- reçu avec Doussot « Mattéo » ?

Un assassinat bien étrange…

Le bureau des renseignements français où se rend Mattéo en janvier 1944 était tenu par Jean Brunet et Jaquin dit « Millefeuille » ou « Milneuf ». Jean Brunet était agent double et fournissait lui aussi des renseignements au réseau Dupleix. Fait étrange, Doussot va le liquider. Le 19 mars 1944, Krull, Schmidt[6], Doussot et Thévenot se rendent à Champagne-au-Mont-d’Or où s’est réfugié Brunet. Ils l’abattent et abandonnent le corps. Selon Doussot et Thévenot, l’ordre venait de Klaus Barbie car on se doutait, à la Gestapo, que Brunet jouait sur deux tableaux…

Klaus Barbie dément cette version lorsqu’il est interrogé le 8 décembre 1948 : s’il avait su que Brunet était agent double, il aurait ordonné son arrestation pour l’interroger, « ce qui était plus logique. » Se pose alors la question : pourquoi avoir abattu Brunet ? Brunet, agent-double, était-il un témoin gênant pour Doussot ? S’il est exact que Mattéo soit venu à Lyon dénoncer les résistants de Cluny, Brunet l’a-t-il reçu lui-même ? Doussot et Thévenot ont-ils pris, pour leur compte, la dénonciation des résistants de Cluny par Mattéo ?

À suivre dimanche prochain…       


[1] Procès Doussot. Marius Peupier, témoignage du 15 juillet 1948.

[2] Entretien téléphonique du 6 février 2019.

[3] Témoignage Henri Mondange. http://mvr.asso.fr/front_office/fiche.php?idFiche=1644&TypeFiche=4

[4] Procès Doussot. C’est Laurent Bazot qui établit une attestation en date du 27 décembre 1944 en faveur de Thévenot « blessé par balle au ventre alors qu’il sortait d’une liaison « en service commandé au titre de la résistance ». Initialement était notée la date du 13 novembre 1944, corrigée en 13 novembre 1943…

[5] Procès Doussot. A. Thévenot donne ce témoignage le 1er avril 1946.

[6] Karl Krull SS Oberscharfuhrer, Gestapo Lyon) et Rolland Schmidt SS Hauptscharfuhrer, Gestapo Lyon). Tous les deux seront jugés à Lyon en 1954 in abstentia, condamnés à mort par contumace.