Victor Duruy, ministre de Napoléon III, prend possession des locaux de l’abbaye en 1865 afin d’y installer un collège d’enseignement secondaire spécial et une École normale pour former les professeurs du nouveau cursus.

Revenons rapidement sur l’histoire des écoles installées dans l’abbaye.

À l’origine, le collège des moines. Après la Révolution, le maire Dumont en fait la description suivante : d’après lui, ce collège gratuit était florissant et comptait au moins une cinquantaine d’élèves venant des villes de Mâcon, Chalon-sur-Saône, Autun, Lyon et Dijon. Quatre Bénédictins enseignaient le français, le latin, l’histoire, la morale, la politique. Les études duraient huit ans.

L’abbaye détruite, les moines chassés, la municipalité réorganise au début des années 1800 l’enseignement au sein de l’abbaye.

Selon les instructions officielles, les professeurs enseignent le français et le latin, la géographie et l’histoire, les mathématiques auxquels on rajoute ultérieurement les langues vivantes, la philosophie et les arts d’agrément, comme la danse. En 1803-1804, on voit même s’installer une école de natation comme l’exige alors les instructions du ministre Chaptal.

À l’époque, d’après Auguste Penjon, le collège occupait l’aile droite. La mairie, la salle de Justice de Paix étaient établies dans l’aile gauche. La chapelle de la Congrégation avait été recouverte et convertie en Grenette en 1811. Certaines galeries -revendues à des particuliers- s’étaient remplies de magasins.

Au fil du siècle, la mairie installe d’autres services tels que : une caisse d’épargne, les pompes à incendie, un dépôt de bois, une salle de réunion et de spectacle ainsi que l’école communale.

Si les effectifs de ce collège municipal sont florissants jusqu’en 1830 -on compte alors environ 160 élèves-, ils baissent : 80 élèves en 1858, 52 en 1866. Deux raisons peuvent expliquer cette chute : premièrement les études coûtent cher. Deuxièmement, la croissance des effectifs, selon les historiens, va de pair avec la situation politique. 1830, 1848 sont des périodes d’incertitude qui ont pu décourager les parents. Il faut, pour engager son fils dans de longues études, un climat de sécurité et de confiance que le pays ne connaît pas toujours à cette époque.

Au milieu du 19e siècle, la ville est donc aux abois puisque l’argent des pensions ne rentrent plus dans les caisses. On cherche d’autres débouchés, en se positionnant par exemple pour accueillir l’École normale d’instituteurs qui s’installera définitivement à Mâcon. La municipalité tente même de fermer définitivement le collège en 1832, mais le Préfet s’oppose énergiquement à cette décision. La ville en garde donc la gestion sans toutefois tenter de le remettre à flots. En 1851, le principal du collège écrit au maire de Cluny : « Je regrette que vous ayez désespéré vous-même. »

En 1864, Duruy cherche des locaux pour organiser « son » enseignement secondaire spécial. C’est l’opportunité qu’attendait la ville depuis des décennies : consciente des avantages à gagner et surtout des inconvénients qu’elle n’aura plus à gérer, la municipalité et son maire Aucaigne Sainte Croix livre gracieusement les locaux de l’abbaye au ministre de Napoléon III en rajoutant même une subvention de 70 000 francs. Le Conseil général, présidé par Schneider, octroie une subvention de 100 000 francs. Le ministre de l’Instruction publique ne pouvait refuser un aussi beau cadeau.

L’enseignement secondaire spécial :

Mis en place par V Duruy, l’enseignement secondaire spécial est l’enseignement qui manque tant en France au 19e siècle entre le cursus primaire et l’enseignement secondaire classique, réservé à la seule bourgeoisie. En effet, pour former les cadres intermédiaires nécessaires à l’industrie, au commerce ou à l’agriculture, il n’existe, à l’époque, que quelques cursus comme :

  • Des écoles professionnelles entretenues par des municipalités
  • Des écoles d’apprentissage très spécialisées (comme pour la typographie, par exemple)
  • Des écoles pour les enfants d’ouvriers, comme celle de nos voisins, les établissements Schneider au Creusot

C’est bien peu. Pour le degré supérieur, on trouve bien sûr déjà l’école Centrale, l’école des Mines, l’école des Ponts et Chaussées et pour le degré moyen, les trois écoles d’Arts et métiers (Chalon, Angers, Aix). Pour Duruy, l’enseignement secondaire spécial sera donc une formation offerte aux enfants du peuple placée entre le primaire et le secondaire classique, « Les Humanités ».

Premier point important : Ce nouveau cursus secondaire spécial ne durera que quatre ans alors que les études classiques se prolongent sur huit ans.

Deuxième point important : cet enseignement sera spécial (et non spécialisé comme on peut encore le lire parfois) car il doit s’adapter aux besoins de chaque localité ou région. À Lyon, on s’occupera plus du travail de la soie et des opérations commerciales ; dans les régions agricoles, on étudiera beaucoup plus les sciences naturelles, la physique chimie et la mécanique, utiles, selon Victor Duruy « au bon ménage des champs ».

Troisième point : grâce à des bourses nationales ou départementales, tout jeune peut prétendre à suivre le cursus, à condition d’en avoir les compétences sanctionnées par un concours d’entrée.

À partir de 1866, dans les lycées et collèges de France se côtoient donc deux formes d’enseignement secondaire : le classique et le spécial.

L’École normale et les innovations pédagogiques.

Bien d’autres réformateurs avaient eu l’idée, avant Duruy, de réformer l’enseignement secondaire mais, toutes les initiatives avaient échoué, là où le ministre de Napoléon III va réussir. Pourquoi ?

Tout simplement parce que V. Duruy décide de former des professeurs pour l’enseignement secondaire spécial, des professeurs qui ne sont pas issus de l’École normale supérieure lesquels d’ailleurs resteront toujours opposés à toute forme d’enseignement secondaire autre que le « classique ».

En 1866, deux titres peuvent être obtenus par les professeurs de l’enseignement spécial : en deux ans on peut obtenir un brevet de capacité (ce titre sera modifié ultérieurement) et une 3e année conduit à l’agrégation de l’enseignement secondaire spécial. L’enseignement spécial donnera 468 agrégés à l’Université.

Agrégé spécial portant la toge

Et cette nouvelle École normale, Duruy décide de l’ouvrir à Cluny le 1er novembre 1866 dans les locaux de l’abbaye et il y adjoint un collège d’enseignement spécial. C’est la première innovation pédagogique que nous soulignons.

En effet si, à l’École normale supérieure, les futurs professeurs ne réalisent pas de stage sur le terrain, il est impossible, selon Duruy, que les enseignants du spécial ignorent ce qu’est un élève « en chair et en os » avant de passer l’agrégation. Ainsi, à Cluny, (et cela permettra des économies substantielles pour faire fonctionner l’établissement), les normaliens font cours aux collégiens en présence d’un enseignant titulaire, ils surveillent les collégiens en étude, au dortoir, pendant les récréations et les encadrent pendant les sorties. C’était, selon Ferdinand Roux (1er directeur), « un moyen de les initier et de les préparer aux fonctions si difficiles et si délicates de l’éducation des enfants. »

Les innovations pédagogiques pour la vie de la classe ne se comptent pas avec V Duruy :

  • Les cours dans l’enseignement spécial ne durent que 60 minutes, parce qu’on ne peut pas fixer l’attention de l’élève plus longtemps. Toute séquence commence avec une petite interrogation sur le cours précédent.
  • Des cours de soutien sont proposés aux élèves en difficulté.
  • Peu ou pas de punitions. C’est sous le ministère Duruy que les châtiments corporels prennent fin. Les avertissements seuls doivent suffire et il faut adopter, vis-à-vis de l’élève, une attitude bienveillante, paternaliste.
  • Les élèves classés premiers deviennent « commissaires » de leur classe. Le terme n’est pas heureux mais c’est l’équivalent de nos délégués de classe actuels.
  • Un cahier de la classe est créé (notre cahier de texte actuel) afin que le directeur sache tout de la progression des élèves pour pouvoir remédier à leurs difficultés.

Un esprit sain dans un corps sain

Un souci pédagogique guide le ministre également dans l’occupation des locaux : il s’agit de donner aux élèves maîtres les conditions matérielles qui leur permettent de réussir, mais ce n’est pas tout ; comme l’affirme Ferdinand Roux, l’élève est « le centre auquel tout se rapporte », un élève au centre du système éducatif avant l’heure. Le ministre s’intéresse autant au bien-être moral qu’au bien-être physique, d’où des préoccupations hygiénistes sans cesse rappelées. Victor Duruy veut des élèves qui évoluent dans des locaux éclairés, aérés, chauffés mais pas trop, dans des lieux gais, dans des cours ensoleillées, au milieu de fleurs et de jardins… et sans barreaux aux fenêtres.

À Cluny, même s’il a nommé expressément en juillet 1866 l’architecte Charles-Jean Laisné -pour installer l’École et le collège- cela ne l’empêche pas de mettre son grain de sel partout : il demande à l’architecte de déplacer les latrines pour les rendre moins apparentes et insiste sur la propreté des locaux car c’est bien ainsi qu’on « obtiendra des élèves plus de respect vis-à-vis du matériel et de l’établissement. »

L’élève doit adopter des règles d’hygiène strictes :  la pratique de la gymnastique, le sommeil et l’hygiène corporelle font partie du programme. Le nombre de bains varie selon la quantité d’eau disponible dans l’abbaye mais les élèves bénéficient obligatoirement de deux bains de pieds par mois et de deux bains par an ; ils doivent encore être rasés fraîchement. Assurer une vie saine aux élèves et en faire des hommes robustes passe aussi par le contenu de l’assiette auquel le ministre est tout aussi attentif.

Avant l’heure, il s’agit bien d’une éducation à la santé, d’un intérêt global du développement de l’enfant, de son épanouissement intellectuel, moral tout autant que physique.

Où Duruy va innover certainement le plus, c’est -bien entendu- dans le contenu des apprentissages : il se rapproche là des principes éducatifs du pédagogue Pestalozzi qui préconisait déjà au 18e siècle de présenter l’aspect concret avant d’introduire les concepts abstraits, de commencer par l’environnement proche avant de s’occuper de ce qui est distant, de donner des exercices simples et de toujours procéder graduellement et lentement.  

À l’enseignement classique la théorie, et à l’enseignement spécial les applications, la pratique.

Le futur professeur d’enseignement spécial devra faire en physique et en chimie, des expériences, comme en mathématiques on fait des exercices pratiques. En chimie, l’expérience doit toujours servir de base au travail du professeur. En histoire naturelle, l’enseignant doit « rendre la science accessible, en déguisant ce qu’elle peut avoir de trop abstrait. » Il faut donc que l’enseignement parle aux élèves, que leur curiosité soit éveillée, que leur faculté d’observation soit développée. Les exercices pratiques concernent encore les travaux graphiques: épures, croquis, levés de terrains, nivellement, etc. montage et démontage d’appareils mécaniques et visites aux différentes usines. Des ateliers (forge, ajustage, menuiserie) sont installés dans le cloître de l’abbaye puis déplacés dans le moulin à côté d’une force motrice permettant le bon fonctionnement des machines.

Atelier, Ecole normale, Cluny, 1868.

Le budget de l’Instruction publique ne permet pas toujours au ministre d’innover comme il le souhaite. Alors, comme il le dit, il « tend son chapeau », sollicitant par exemple les industriels pour envoyer à Cluny des échantillons et des machines. On trouve par exemple dans le musée mécanique de nombreux appareils comme un piano modèle à pièces mobiles, susceptible d’être démonté et remonté à volonté, une petite machine à vapeur, un petit marteau pilon à air comprimé, une machine à coudre, etc. 

Pour les sciences naturelles, les collections sont disposées dans trois salles différentes pour les trois règnes de la nature : les minéraux, les végétaux et la zoologie. Elles doivent avoir un rapport direct avec le département dans lequel se situe le collège ou le lycée d’enseignement spécial. Ainsi il est nécessaire d’avoir :

  • Une collection des principaux animaux du département, notamment des oiseaux et des insectes nuisibles aux végétaux cultivés.
  • Un herbier des plantes du département, des échantillons des principaux bois forestiers, des produits agricoles.
  • Des exemples de roches composant les divers terrains du département et le plus grand nombre possible de fossiles.

À côté du musée d’histoire naturelle se trouve encore un laboratoire de manipulations, de dissection et de préparations. Dommage pour Cluny : toutes ces collections (comme la bibliothèque) seront dispersées dans les établissements de la région ou à Lyon à la fermeture de l’École normale en 1891.

À Cluny, c’est dès l’ouverture de l’établissement en 1866, que les terrains d’une surface de six hectares, qui servaient à la promenade quotidienne des habitants de la ville, sont convertis en deux jardins, pour l’enseignement de la botanique et un potager.

Jardins, Ecole normale, Cluny

On développe ainsi un enseignement spécifique à la région clunysoise et adapté au public scolaire. Les familles sont ainsi averties dans le prospectus du collège de 1867 que l’enseignement donné à Cluny comprend « tout ce qui est d’application journalière dans la vie de l’agriculteur (…) » et qu’il faut « [les] initier à ce qui concerne la nature des terres, aux divers moyens de les fertiliser, de les améliorer et de les exploiter. »

Les plantes, les graines et les arbres sont fournis par le Muséum de Paris. Une première parcelle comprend « deux mille espèces de plantes des principales familles du règne végétal. »Une deuxième parcelle comprend « six cents espèces et variétés principales des plantes que l’on cultive pour l’alimentation de l’homme ou des animaux, ou bien encore pour leurs usages dans l’industrie et la médecine. »

On trouve encore une pépinière, des plantes d’agrément, une serre. Deux autres hectares sont consacrés à un potager qui permet de subvenir à l’alimentation des élèves et personnels. Des arbres fruitiers ont été plantés en nombre pour la même destination et pour la pédagogie.

Chaque collégien bénéficie d’un petit morceau de terrain où il doit faire pousser des légumes, « qu’on puisse utiliser à la cuisine » ; il doit l’entretenir pendant une partie des récréations, avec l’aide d’un journalier qui « surveille attentivement les enfants et leur indique, au fur et à mesure, les soins à donner aux plantes. »

La formation des professeurs de langues vivantes

Autre grande innovation mise en place par Duruy : la formation des professeurs de langues vivantes. Pour le ministre, les langues sont une nécessité des temps modernes au même titre que les sciences.

La formation des professeurs de langues a été -à l’École normale supérieure- un échec. Conséquemment, ce sont des professeurs étrangers qui enseignent l’allemand ou l’anglais dans les collèges et lycées et l’étude des langues vivantes n’a produit -jusqu’à présent- que des résultats insuffisants ; les élèves, à bien peu d’exceptions, ne savent ni parler, ni écrire l’allemand ou l’anglais. 

Première mesure prise par Duruy, il rétablit l’agrégation des langues vivantes par le décret du 27 novembre 1864 et introduit cette matière au concours général dès 1863. La connaissance des langues vivantes -dans l’enseignement spécial- devra servir le commerce, l’industrie, le pays. Les efforts réalisés permettront de « ne plus emprunter à la Suisse et à l’Allemagne les jeunes gens dont elle a besoin pour ses relations commerciales. »

En 1867, une section littéraire et des langues vivantes est donc ouverte à Cluny. Le ministre pose les fondements de l’enseignement : deux heures de cours de langues par jour, des exercices de conversation, le tout complété par une année passée obligatoirement à l’étranger. Le placement et le système d’échange se réalisent très facilement avec l’Allemagne. Dès 1869, Cluny accueille trois élèves de Stuttgart pendant que trois Clunisois sont en Allemagne où ils suivent et donnent des cours. En 1872, le ministre de l’Instruction Publique Jules Simon suit la route tracée par Duruy : une section langues vivantes est créée à l’École normale supérieure.

Quels résultats ?

À Cluny, l’enseignement secondaire spécial est un succès :

Pour le collège, on compte en 1868 206 élèves inscrits et on envisage déjà des travaux pour augmenter la capacité d’accueil. En 1872, on comptera 492 collégiens. On vient de toute la France (mais aussi de l’Algérie et de l’Egypte) pour suivre ses études à Cluny.

La ville connaît alors une pleine renaissance et ne regrette pas les sacrifices financiers qu’elle a dû faire : 

  • Notamment en dédommageant les particuliers qui ont été expropriés dans l’abbaye.
  • En déplaçant tous les services municipaux installés.
  • En contractant un emprunt pour construire le chemin de fer indispensable pour rejoindre l’École et le collège.

En compensation, la ville gagne des habitants car les établissements scolaires amènent des employés, des ouvriers et des fonctionnaires. On ouvre de nouveaux commerces, les professions libérales et les administrations publiques s’installent : on compte 4253 habitants en 1866, 4989 en 1872. Pour les propriétaires, c’est une manne providentielle : le prix des loyers double.

Hormis ces avantages financiers, Cluny connaît également une véritable renaissance culturelle : d’éminents savants ou des artistes viennent visiter l’École : le président de l’académie des sciences Adolphe Brongniart, Jean-Baptiste Dumas (fondateur de l’École centrale des Arts et manufactures), l’éminent chimiste Antoine Jérôme Balard, le sculpteur Bartholdi pour ne citer qu’eux. Des observateurs venus de l’étranger se rendent également à l’École normale : En 1867, Duruy vient accompagné du surintendant de l’Instruction publique du Canada ; en 1869, c’est l’inspecteur général de l’enseignement industriel en Belgique, puis ce sera un délégué roumain. Dans les années 1880, des membres de l’Instruction publique du Japon et de Hongrie viennent encore à Cluny. L’École normale et son collège sont devenus des exemples de grands établissements scolaires.

Autres retombées ? Avec Kuhn, professeur de musique, la fanfare municipale est créée. Pierre Legrand, professeur de dessin, organise des cours gratuits pour les Clunisois et s’occupe activement du musée lapidaire du docteur Ochier. Grâce à la vigilance de Ferdinand Roux (1er directeur), les Monuments historiques sont alertés sur les derniers vestiges : l’abbaye est classée Monument historique et son entretien revient ainsi à l’administration des Beaux-Arts.

Travaux façade Pape Gélase, Cluny1872.

Victor Duruy parti du ministère de l’Instruction publique, l’enseignement secondaire spécial sera réformé à quatre reprises et transformé en « enseignement moderne » L’École et le collège fermeront définitivement leurs portes en 1891 et seront remplacés par une École nationale d’ouvriers et de contremaîtres ouverte par le ministère du Commerce.

Comment en est-on arrivé là ?

Duruy est ministre de l’Empire et, lorsque la République s’installe, c’est en quelque sorte un symbole qu’il faut détruire. Que lui reproche-t-on ? Son admiration pour les modèles pédagogiques allemands. Duruy aurait voulu selon certains -avec son enseignement spécial- « détruire l’Université française ».

À partir de 1872, l’École normale est délaissée et l’enseignement spécial stigmatisé. À Cluny, les professeurs ne sont plus nommés, les concours aux bourses ne sont plus ouverts et il s’agit, de mettre un terme à un enseignement qui « inclinait volontiers aux doctrines en vogue sur la raison humaine, la libre pensée, l’affranchissement des esprits, le progrès, la démocratie. » Duruy avait en effet voulu créer une École normale où les élèves restaient libres de ne pas suivre d’enseignement religieux.

Inéluctablement, les effectifs chutent.

Puis arrive le temps de Jules Ferry. Non seulement il n’y a plus de volonté politique forte de porter cet enseignement intermédiaire mais les professeurs de l’enseignement classique organisent également une véritable cabale contre l’enseignement spécial, le qualifiant des pires appellations : « enseignement des épiciers », « enseignement pour les bestiaux », puisque les élèves du spécial ne connaissent pas le latin. En bref, dans cette société de la fin du XIX e siècle, il y a bien deux enseignements : celui des Nobles et des Vilains.

À la rigueur, on accepte encore qu’un élève suive le cursus spécial à condition d’être sûr qu’il ne pourra pas réussir dans l’enseignement classique. L’enseignement spécial devient une voie de garage, une filière où l’on envoie les moins bons élèves ou les pauvres. Force est de constater que le modèle d’enseignement reste bien, tout au long du XIXe siècle, celui des Humanités, celui d’une culture classique, gratuite et fondamentalement anti-technique.

Dernier point sur lequel nous pourrions encore longuement débattre : la société de cette fin du XIXe siècle était-elle prête à vouloir que les enfants du peuple -en nombre- accèdent à une promotion sociale via l’enseignement spécial ?

À plus long terme, s’il faut chercher dans le passé des réponses à nos questions d’éducation pour le présent, les républicains en transformant l’enseignement spécial en un « enseignement classique bâtard » et en y envoyant les moins bons élèves, portent une lourde responsabilité. Ils impriment pour longtemps l’image d’un enseignement technique dévalorisé qui ne peut accueillir que les rebuts de l’enseignement général.