Une deuxième vague d’arrestations se produit les 15[1] et 17 février, preuve que certaines langues se sont déliées depuis la veille.

Le 15 février en fin d’après-midi, l’opération de la SIPO-SD vise surtout l’École des Arts-et-Métiers où quarante Allemands recherchent un certain Albert Giroux[2] qui vient parfois effectuer des travaux dans l’établissement. Tandis que tous les élèves et le personnel sont rassemblés dans la cour avec la menace d’être fusillés si Giroux reste introuvable, les Allemands perquisitionnent jusqu’à 20H30. N’ayant aucun lien affirmé avec la résistance, Jean-Pierre Mussetta et P. Morlevat (professeurs), Antoine Guillotin (agent technique) et le directeur Gabriel Lagardelle sont emmenés en représailles. Cherchant également Marie-Louise Zimberlin qui travaille ce jour-là à la Prat’s, ils partent l’arrêter en plein cours, en cette fin d’après-midi. Dénoncée à la dernière minute, la résistante membre du mouvement Franc-Tireur, revêt son manteau, prend ses papiers et se tourne vers ses élèves : « Au revoir mes petits enfants, je vous aime bien. »   

Seul Gabriel Lagardelle -parti à Lyon- sera libéré le 16 février au soir. Les autorités allemandes (le capitaine et le commandant) placardent une affiche dans toute la ville : celui-ci a été innocenté et ses dénonciateurs ont été arrêtés. Il est clair qu’aucune représailles ne doit viser le directeur des Arts.

Le 17 février, huit soldats reviennent pour chercher treize officiers mécaniciens qui suivent à l’École des cours depuis avril 1943. L’intendant et Antoine Michel (sous-directeur) les accompagnent jusqu’à l’hôtel Chanuet. On recherche plus spécialement ce jour-là, Francis Gelin « Cassis », aide-cuisinier aux Arts. Arrêté, il part en déportation avec A. Michel tandis que l’intendant et les élèves ne sont pas inquiétés. L’arrestation du sous-directeur pose question : membre de la Légion, que peut-on en effet lui reprocher ? A-t-il été victime, comme la Zim, d’une dénonciation de dernière minute ?

En fin d’après-midi, les Allemands en ont fini : l’opération s’est terminée par l’incendie des meubles des cafés Lardy, Nigay, Fouillit et Moreau. Des brasiers brûlent place de l’hôpital, au champ de foire, place des Fossés, au pont de l’étang, se souvient Pierre Griot. Et ce sont encore quinze personnes qui partent pour Lyon -puis pour certains Compiègne ou Romainville- avant la déportation[3].

AP. Famille Alix. Les déportés et leurs familles devant l’hôtel de l’abbaye, le 14 février 1965

Au total, sur les soixante-treize personnes déportées entre les 14 et 17 février 1944, trente-six trouveront la mort dans les camps ou à leur retour en France, comme M-L. Zimberlin. Sans que l’on sache pourquoi, le docteur Élysée Noir, arrêté le 14 février, restera interné à Compiègne avant d’être libéré.

Comment peut se réveiller une ville après une telle tragédie ? Alfred Lang, témoin, écrit : « Les gens étaient atterrés et n’osaient pas ouvrir la bouche. Les cafés restaient fermés. Il y avait des sentinelles à chaque coin de rue. (..) Beaucoup de boutiques étaient fermées, leurs propriétaires ayant été arrêtés. Un tiers du personnel manquait à la poste, la moitié à la gare, presque la totalité à la mairie. Un silence de cimetière régnait partout[4]. »

Les comptes se régleront à la fin de la guerre.

« Nous reconnaîtrons bien les traîtres.
Leur chanson n’est pas de chez nous… » Aragon, Poèmes inédits.

À suivre…


[1] Seront également arrêtés le 15 février hors Cluny : J. Lambert (Blanot), 4 personnes à Berzé-la-Ville (familles Litaudon et Chambard), Marc Passot à Lournand.

[2] Le Pire…, op.cit., p. 97. Témoignage de G. Guignard. Albert Giroux était employé chez Perraud, ferblantier. Selon Germaine Guignard, il échappe à la perquisition en restant accroché à une poutre dans les combles.

[3] Arrêtés le 15 février à Cluny : la famille Grandjean (3 personnes), Antoine Guillotin, Charles Michel, J-P. Mussetta, Pierre Morlevat, M-L. Zimberlin, G. Lagardelle. Arrêtés le 17 : Francis Gelin et Antoine Michel. Jeanne Litaudon de Berzé ne sera pas déportée et Lagardelle sera libéré.

[4] Lang, Alfred. Je ne suis qu’un Boche…, op.cit., p. 172.