Depuis les années 1920, le 401è régiment d’artillerie était installé au fort de Romainville. En octobre 1940, le Commandement allemand installé à Paris (Militarbefehlshaber in Frankreich) le transforme rapidement en « camp de détention administrative par mesure de sûreté » (Sicherungshaft). C’est aussi, jusqu’en 1943, un camp où sont rassemblés des otages (Sühnepersonen) communistes ou juifs, susceptibles d’être fusillés. Le fort devient ensuite surtout un lieu de transit vers les camps nazis et en février 1944, il n’accueille presque que des femmes, les hommes étant eux dirigés vers le camp de Compiègne. Au total, plus de 3 800 femmes sont internées à Romainville et 90% d’entre elles sont ensuite déportées, principalement à Ravensbrück [1]. Mais, c’est aussi de Romainville que part, le 23 janvier 1943, le seul convoi de 230 femmes déportées vers Auschwitz -celui des « 31 000 [2] »- qui emporte notamment Charlotte Delbo [3].
Après douze jours passés à la prison de Montluc, les Clunisoises arrivent à Romainville.
Vivre au jour le jour.
« Pour notre groupe, Romainville a été un havre, mais nous ne le savions pas », raconte Suzanne Burdin [4]. En effet, si les visites sont interdites, les détenues peuvent recevoir des colis, un mandat de 300 F, écrire et être destinataires de quarante lignes par mois, sortir dans la cour et recevoir des soins. Si la soupe paraît acceptable, pour celles qui sont parties de Cluny sans rien, le colis envoyé par la famille est espéré.
Que réclament-elles ? Des vivres bien sûr, mais surtout des vêtements, du fil et des aiguilles, du savon. « À ce moment, le moral était bon. Nous nous stimulions les unes les autres, nous avions la chance d’être ensemble, c’était d’un grand réconfort [5]. »
La Zim -matricule 4386 stalag 22- voit les Clunisoises tous les jours et le 10 mars, elle envoie son premier courrier : « Comme il me tarde d’avoir de vos nouvelles, vous, ma maison, mes élèves, mes amis. La vie est rude mais supportable [6].» Elle vient de recevoir un premier colis le 2 mars où manquent beaucoup d’effets personnels, subtilisés. « Merci pour tout ce que vous faites. Tenez compte de mes dettes [7]. »
Le 17 mars, dans une deuxième lettre passée sous le manteau et toujours adressé à Gabrielle Dameron à Cluny [8], elle rassure encore sa famille et ses amis : « Soyez sans inquiétude, elle tiendra le coup. » La Zim prend sous son aile une jeune Grenobloise enceinte de cinq mois et elle ne perd rien de sa passion pour l’anglais : elle obtient des résultats par exemple avec Violette Maurice et Catherine Roux, auteure du « Triangle rouge ». Elle a aussi, comme elle l’écrit, retrouvé des « amis de Lyon », donc des résistantes qu’elle a connues. À partir du fichier des internées à la même date, on retrouve : V. Maurice et Denyse Clairouin (réseau Mithridate à Lyon), Marguerite Pellet (réseau Marco Polo), deux bonnetières du nom de Ducloux et Wanda de Komornicka du mouvement Combat à Avignon.
Le réseau Mithridate ?
Si La Zim appartient au mouvement Franc-Tireur depuis 1942, il est tout à fait possible qu’elle connaisse W. De Komornicka puisque sa soeur Sophie réside à Avignon, tout comme le réseau Mithridate chargé de faire passer en Espagne des jeunes Français élèves des Grandes Écoles, comme des aviateurs, des prisonniers évadés, des Canadiens, Anglais ou Américains. Connaissait-elle les Maurice avant la guerre ? C’est tout-à-fait possible. Elle a vécu comme eux à Saint-Etienne, ils sont protestants, professeurs d’anglais et amis -comme La Zim- avec Franck Sequestra, résistant, protestant et professeur d’anglais au lycée Lamartine de Mâcon. Quant à Denyse Clairouin (1911-1945), elle est également agrégée d’anglais et traductrice.
La Zim agrandit aussi son cercle de connaissances et se lie d’amitié avec la femme du colonel Reboul, Mme Kahn, Hélène Cabane de la Prade (1868-1944) et Marie Thérèse de Poix (1894-1945). Ainsi, les heures passent, écrit-elle toujours pour rassurer les siens, « le plus joyeusement du monde. »

Marie-Louise Zimberlin dans son salon, Cluny
Envoyez moi des souliers, poursuit-elle « des choses vieilles et laides (…) En Allemagne, l’uniforme est fourni ; on s’habille le dimanche seulement avec ses effets personnels. » Seule ombre au tableau, le départ de ses compagnes clunisoises : Mmes Renaud, Moreau, Terrier, Parizot, Sauzet, parties le 16 mars pour Ravensbrück. « Maintenant, [poursuit-elle], elle n’ose plus se lier parce que la séparation est cruelle et le vide terrible. » Le 19 mars, sa sœur Mimi lui répond. Les élèves de deuxième année à La Prat’s ainsi que les gad’zarts veulent participer à l’envoi d’un colis : des œufs, de la confiture, des biscuits.
Le départ.
Le 25 mars, dernier courrier envoyé par Marie-Louise Zimberlin, où elle utilise son pseudonyme de résistante « Iseau ». Elle n’a pas eu le temps de le poster et il a peut-être été lancé du train et transmis par un cheminot. Elle a maigri, elle sent la paillasse et souhaiterait un peu d’eau de Cologne. Elle reste inquiète des siens, de ses élèves, de son jardinier qu’elle n’a pas eu le temps de payer et de Marie-Louise Clément -sa compagne de résistance- qu’elle redoute toujours de voir arriver à Romainville. À ce moment-là, La Zim espère encore rester en France : elle a cinquante-cinq ans et « Il paraît qu’on envoie plus en Allemagne à partir de 55 ans. (…) Ce sera bon de grimper la rue de la Poste. Comme tout semblera beau et bon ! (…) Faites des amitiés à tous, aux élèves petits et grands [10]. »
Dans ce dernier courrier et comme dans les précédents, échangés sur cette période de Romainville, les trois femmes -La Zim, M-L. Clément et Sophie Zimberlin- règlent, dans une correspondance codée dont nous reparlerons, les affaires les plus urgentes concernant la résistance entre Cluny et Avignon.
Le 18 avril, elle quitte cette antichambre de la déportation pour Ravensbrück [11] avec les Clunisoises Georgette Colin, Jeannette Dillenseger et Marie Grandjean.
1 Pour plus de renseignements sur le fort de Romainville, on se reportera à l’ouvrage de Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France. Paris : Editions Tallandier, 2005, 144 p.
2 Ce convoi a pris le nom de « 31 000 » parce que ces femmes ont été immatriculées dans la série des « 31 000. »
3 Arrêtée le 2 mars 1942, Charlotte Delbo (1913-1985) est arrêtée en compagnie de son mari, Georges Dudach (1914-1942). Elle sera emprisonnée à Romainville en août 1942 et son mari fusillé au Mont-Valérien le 23 mai 1942.
4 Amicale des déportés de Cluny. « Le pire c’est que c’était vrai ! » Cluny : JPM éditions, 2005, 411 p., p. 128.
5 Idem., témoignage de Simone Grandjean, p. 130.
6 Archives du CDRD 71, lettre de MLZ à Madame Dameron, route de Jalogny, Cluny.
7 Ibidem.
8 Archives du CDRD 71, lettre de MLZ à Madame Dameron, route de Jalogny, Cluny. La Zim écrit ce courrier à la troisième personne et l’adresse à Mme Dameron, peut-être par souci de protéger sa sœur Sophie Zimberlin ou Marie-Louise Clément, petite fille de Mme Dameron.
9 Archives du CDRD 71.
10 Ibidem. Lettre de MLZ adressée à sa tante, Mme Dandine, 3 rue Arc-de-l’Agneau, Avignon. La lettre, écrite sur une page arrachée d’un livre scolaire, a été postée à Tours et l’adresse n’a pas été rédigée par MLZ.
11 Sept départs eurent lieu en 1944 de Romainville et de Compiègne vers Ravensbrück : le 31 janvier (convoi 287, 959 femmes), le 16 mars (convoi 310, 51 femmes), le 30 mars (convoi 323, 48 femmes), le 6 avril (convoi 332, 51 femmes), le 18 avril (convoi 339, 417 femmes), le 11 juillet (convoi 403). Le dernier convoi, dont la date de départ est inconnue, arrive à Ravensbrück le 13 octobre 1944. Toutes les Clunisoises auront le sigle « N.N », hormis les déportées du convoi du 18 avril.